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RHETORIQUE ET SERIALITE :
le cas Oz
par Séverine (alias Ozgirl)


L’étude rhétorique d’une série télévisée peut se faire à travers trois axes : l’argumentation intradiégétique (qui a lieu entre les personnages), l’argumentation extradiégétique (qui a lieu de la série vers le téléspectateur) et l’argumentation métadiégétique (qui correspond au discours de la télévision sur la série télévisée). Nous ne nous interrogerons ici que sur les modalités de l’argumentation extradiégétique de la série télévisée Oz : cette dernière, créée par Tom Fontana et Barry Levinson, prend place dans un quartier expérimental du pénitencier d’Oswald, surnommé « Oz ». Elle nous raconte la vie des prisonniers et des membres de l’administration pénitentiaire, en mettant tout particulièrement en avant leur violence et les difficultés qu’ils rencontrent tout en nous proposant une réflexion sur le système pénal américain.
L’argumentation extradiégétique d’une série télévisée se manifeste sous de nombreuses formes : le titre, le générique, le prégénérique quand il y en a un, les éventuelles dédicaces ou épigraphes, les procédés de fidélisation du téléspectateur, l’intertextualité et, dans notre cas, le narrateur. Nous étudierons ici plus précisément les rôles du générique et du narrateur.

Le générique.
Dans l’argumentation extradiégétique d’une série, le générique a une place importante. C’est le premier contact qu’a le téléspectateur avec la fiction proprement dite. En effet, la connaissance qu’il en a avant se limite aux bandes-annonces, dont le but est de donner une idée générale de la fiction afin de provoquer la décision de la regarder.
À côté du premier but, qui est de décider le téléspectateur à regarder la série, le générique endosse aussi deux autres rôles importants : un rôle phatique et un rôle éthique.
Le générique a une fonction phatique. Ce terme, emprunté à la théorie des fonctions du langage de Roman Jakobson, signifie que le générique indique que le canal de communication va être utilisé. La visée pragmatique, c’est-à-dire son but au niveau de l’action qu’il souhaite déclencher, est double : le générique de début indique l’ouverture de ce canal, tandis que le générique de fin désigne sa fermeture. À côté de cette indication du début du programme, le générique joue également un rôle d’identification fort : chaque générique doit être facilement reconnaissable. C’est la jonction de ces deux éléments qui fait que, lorsque nous sommes absents de la pièce où est la télévision, nous puissions y revenir quand commence le programme que nous voulons voir.
Lorsqu’elle analyse le rôle de la musique dans les mises en scène de la télévision, Hélène Duccini assigne clairement ce rôle au générique : « La musique des génériques d’émission joue un rôle analogue [à celui des spots de publicité] : prévenir les téléspectateurs, peut-être éloignés du récepteur, que l’émission commence ; c’est un signal d’appel. » Dans cette conception, la musique joue un rôle essentiel puisqu’il faut qu’elle soit clairement identifiable, même dans des conditions de réception peu favorables, malgré le « bruit », pour reprendre encore un terme de Jakobson. La musique d’Oz est composée essentiellement de percussions, sans accords phoniques, et elle est hachée. Elle est donc complètement différente de celle d’autres séries télévisées, comme The X-Files, Friends ou Ally McBeal. Il est d’ailleurs intéressant de noter à ce sujet que ces trois génériques ont fait l’objet d’une sortie en disques, alors que pour Oz, c’est une compilation de morceaux ayant un rapport thématique avec la série qui est sortie récemment. À côté de ce phénomène d’appel et d’identification, la musique a aussi une fonction pathétique, qui consiste à déclencher des émotions chez le téléspectateur.

En outre, une fonction éthique peut aussi être assignée au générique. La fonction éthique consiste, pour le locuteur, à travailler son image et à l’améliorer par le seul moyen du discours. La musique endosse partiellement ce rôle. Concernant la bande-image, le générique d’Oz est composé de deux ensembles de plans différents : des plans tirés des épisodes, montés avec deux bandeaux en haut et en bas, comme lors de la diffusion de films de cinéma en 16/9, et des plans filmés uniquement pour le générique montrant un homme se faisant tatouer Oz sur le bras. Ces dernières images n’ont pas de bandeaux.
Les plans montrant une séance de tatouage peuvent être considérés comme une métaphore de l’influence d’Oz sur les gens. Les détenus sont marqués à vie par leur passage à Oz, qui reste indélébile, et les téléspectateurs entretiennent une double relation avec la fiction : curiosité et malaise, à l’image du tatouage, agréable par son aspect ornemental et source de douleurs. Le tatouage que nous voyons être fait est celui de Tom Fontana, créateur et scénariste d’Oz, ce qui nous pousse à nous interroger sur la relation qu’il entretient avec sa création. D’autre part, le tatouage est fortement représenté dans Oz : Tobias Beecher, le lendemain de son arrivée en prison, se fait tatouer de force par Vern Schillinger une croix gammée sur la fesse ; Ryan O’Reilly, après être tombé amoureux du Dr Nathan, tente d’enlever, en le grattant, le tatouage qu’il avait sur l’avant bras et qui était le prénom de sa femme.
En ce qui concerne l’ensemble des plans tirés d’épisodes, leur présentation mérite commentaire : les bandeaux rappellent le format du cinéma, dont vient Barry Levinson. Ils indiquent par là dès le début son héritage du cinéma et placent Oz dans une lignée et un espace tout à fait particuliers par rapport aux autres séries. L’effet esthétisant est perceptible dès les premières secondes de l’épisode. Cependant, ces bandeaux sont blancs, marquant aussi la différence entre télévision et cinéma.

Le générique assume aussi un rôle éthique au sens technique en ce qu’il nous offre une miniature de la série. Les différents plans qui le composent sont tirés des différents épisodes et changent de saison en saison, si bien qu’il y a une sorte d’actualisation du générique en fonction du développement de la fiction. Ce phénomène montre bien qu’il s’agit, pour le générique, d’être une sorte de résumé de l’état d’esprit de la fiction, de l’image que le producteur du discours souhaite que nous en gardions. Les différents plans qui le composent nous présentent ses différentes thématiques. Nous relevons ainsi, par exemple, un ensemble de quatre plans présents dans les génériques des différentes saisons qui montrent de la drogue saisie puis une seringue plantée dans un bras. Or ce thème parcourt tous les épisodes. Des plans montrant des exécutions capitales sont aussi présents dans les différents génériques.
D’ailleurs, on peut parfois, pour certains ensembles de plans, reconstituer un fil narratif. Dans le générique de la deuxième saison, trois séquences sont reliées narrativement : elles montrent les étapes des relations entre Miguel Alvarez et Riviera. Dans le générique de la troisième saison, deux séquences mettent en place un fil narratif à l’intérieur du générique : la première montre la petite amie de Jefferson Keane se promenant, à moitié nue, en bas de la prison, la deuxième Adebisi caressant son sexe sous son slip. Ces deux séquences, pourtant, ne correspondent absolument pas à un événement précis se passant dans la série, contrairement à l’exemple précédent : en effet, elles sont tirées d’épisodes différents en rapport avec des intrigues différentes. Enfin, le générique nous montre les temps forts de la série, comme l’affaiblissement de la position de Kareem Said ou le passage à tabac de Dino Ortolani par les gardiens.
Cet assemblage de plans présents dans deux ou trois génériques et de plans ne servant qu’une fois a, de plus, un effet semblable aux figures discursives de répétitions qui jouent sur le même et l’autre, comme la paronomase, la figure dérivative ou encore le polyptote. Nous avons alors affaire à des procédés qui provoquent de la présence, selon la théorie de Perelman :


Parmi les figures ayant pour effet d’augmenter le sentiment de présence, les plus simples se rattachent à la répétition, qui est importante en argumentation, alors que, dans une démonstration et dans le raisonnement scientifique en général, elle n’apporte rien. La répétition peut agir directement ; elle peut aussi accentuer le morcellement d’un événement complexe, en épisodes détaillés, apte, nous le savons, à favoriser la présence.


Nous pouvons considérer ainsi, par exemple, les diverses séquences présentant des exécutions capitales, que nous retrouvons dans les génériques des différentes saisons. En effet, la question de la peine de mort tient une place importante dans la thématique de la série.
Outre son but de décider le téléspectateur à regarder la série, le générique a donc deux grandes fonctions : une fonction phatique et une fonction éthique. Sa musique a un double but : positionner l’image de la série et provoquer des émotions chez le téléspectateur. Ces trois rôles - phatique, éthique et pathétique - sont d’ailleurs généralement présents dans toute introduction de texte à visée persuasive.

Le narrateur.
La seconde manifestation de l’argumentation extradiégétique à laquelle nous allons nous intéresser est le narrateur, Augustus Hill. La présence d’un narrateur est une spécificité d’Oz, cette structure étant généralement présente dans les séries d’anthologie, comme Les Contes de la crypte, Les Nuits de l’étrange ou encore Alfred Hitchcock présente.
Nous pouvons expliquer sa présence par une attention portée par les créateurs à la visée argumentative que peut revêtir Oz. « (...) toute argumentation vise à l’adhésion des esprits et, par le fait même, suppose l’existence d’un contact intellectuel. » Or, le narrateur peut assumer cette fonction de « contact intellectuel », ici explicite, tandis que les fictions, de manière générale (romans, pièces de théâtre, films et téléfilms...), procèdent plutôt implicitement avec un (ou plusieurs) personnage(s) qui porte(nt) les valeurs et les idées de l’auteur. Le « cube » de verre dans lequel se trouve le narrateur peut aussi être interprété dans une visée argumentative. En effet, pour agir sur un auditoire, on peut le conditionner par d’autres moyens que le discours, comme des mises en scènes spécifiques, des jeux de lumières ou de masses humaines, de la musique… Ce procédé singulier de mise en scène attire alors notre attention sur le statut particulier de ce qui nous est ainsi communiqué. Or, il est à noter que le « cube » est inscrit dans le cahier des charges de la série : chaque réalisateur a l’obligation de l’utiliser, de quelque manière que ce soit, ce qui montre l’importance de ce procédé dans les apparitions du narrateur.

Les intermèdes narratifs d’Augustus Hill posent un problème d’ordre chronologique. Si les commentaires qu’il fait sur les crimes commis par les prisonniers ne peuvent être interprétés que comme des analepses, que Gérard Genette définit comme « toute évocation après coup d’un événement antérieur au point de l’histoire où l’on se trouve », les autres commentaires sont beaucoup plus ardus à situer : il semble improbable qu’ils soient antérieurs aux faits (à moins de faire entrer en jeu la notion de prémonition ou d’oracle), mais ils peuvent être contemporains ou postérieurs. Nous sommes donc dans une situation d’achronie, « terme général [...] pour désigner toutes les formes de discordances entre les deux ordres temporels [le temps de la diégèse et celui de l’énonciation] ».
Cette imprécision chronologique fait qu’il nous est difficile de cerner le but précis des interventions du narrateur : s’agit-il d’influencer notre jugement sur les actes des personnages, de dénoncer certains faits de société et certaines orientations sociales et politiques ou tout simplement de nous livrer des informations que nous n’aurions pas par un autre moyen ? Il semble que ce soit tout cela à la fois, et plus que cela, le téléspectateur doit interpréter au coup par coup les intentions qu’il décèle chez le narrateur. Quand il s’agit de flashbacks explicatifs précisant les motifs et les conditions d’arrestation d’un prisonnier, ses intentions sont relativement claires : nous faire partager un certain environnement cognitif. Cependant, cette théorie n’explique pas la portée des autres commentaires du narrateur sur l’action.
Cette question de la place chronologique des interventions est d’autant plus importante que non seulement l’histoire qui nous est racontée, mais aussi les commentaires se placent dans notre contemporanéité. On peut citer, par exemple, la date de la condamnation de Jackson Vahue, dans le sixième épisode de la première saison, diffusé le 11 août 1997 aux États-Unis : 17 août 1997. La fiction anticipe donc sur le présent, puisque la condamnation est censée se produire 6 jours après la diffusion. Dans ce même épisode, nous pouvons aussi relever la date de la condamnation d’Huseni Mershaw, le 11 août 1997. Quant aux autres interventions du narrateur, même si les références temporelles sont beaucoup moins précises, elles se placent bien dans notre présent : Augustus Hill, au début du troisième épisode de la deuxième saison, diffusé le 27 juillet 1998 aux États-Unis, parle de l’approche de l’an 2000 et des listes de personnes ayant marqué le millénaire que publient, à cette époque, les journaux.
Cette exacte coïncidence entre le temps de la fiction et le temps du téléspectateur pose un problème sur le plan éthique au sens technique, c’est-à-dire au sujet de l’image de marque d’Augustus Hill en tant que narrateur : dans ce cas, notre narrateur ne jouit pas d’une position de recul sur les événements qu’il commente. Ce recul est normalement le cas de tout récit narré, puisqu’il s’agit d’un récit a posteriori. Ce n’est pas là le seul problème puisqu’il y a une collusion entre Augustus Hill, personnage prisonnier d’Emerald City, et Augustus Hill, narrateur. Ainsi parle-t-il de sa dépendance, en tant que personnage, dans un intermède narratif du sixième épisode de la première saison. Cependant, il ne viendrait pas l'idée au téléspectateur de remettre en cause la parole du narrateur. Cela montre bien qu’il y a quand même, de la part du narrateur, une construction de l’ethos. Elle passe par une certaine sympathie que le téléspectateur ressent pour lui en tant que personnage, avec un transfert de l’ethos du personnage sur le narrateur, et une construction particulièrement soignée du discours, qui vient contrebalancer le manque de recul que nous pourrions éventuellement reprocher au narrateur.
Le personnage, en effet, est tout de suite sympathique au téléspectateur. D’une part, son handicap, loin de nous faire éprouver de la pitié puisqu’il ne semble rencontrer aucune difficulté à se déplacer dans Emerald City et qu’il n’essaie pas de se faire plaindre, fait que nous nous intéressons davantage à lui. D’autre part, le fait qu’il ne participe à aucun des coups montés par les prisonniers pour tirer un avantage quelconque, à aucun des meurtres ni à aucune des agressions entre prisonniers nous donne une image positive de ce personnage qui ne cherche pas à écraser les autres à tout prix. Cette sympathie et cette bienveillance que nous portons au personnage se transfèrent alors sur le narrateur.

D’un point de vue discursif, le narrateur se singularise par l’emploi de procédés rhétoriques peu utilisés par les personnages : les preuves extra-techniques, l’emploi des proverbes, des lieux rhétoriques et des procédés de liaison.
Les preuves extra-techniques sont celles qui ne sont pas construites par le discours, comme les témoignages ou les preuves. Leur emploi donne une crédibilité au discours, puisqu’elles sont objectives. Augustus Hill cite des statistiques et des conclusions de rapports officiels. Par exemple, il ouvre le sixième épisode de la première saison par une statistique : « Six percents of the total prison population is 55 and older. That’s double ten years ago. » Dans le troisième épisode de la deuxième saison, il fait écho à un rapport officiel :


The U.S. Department of Justice reports that the typical prisoner in America is an undereducated, young male minority [...]. If that undereducated, young male minority receives his G.E.D. in prison, he is far less likely to come back. If that same kid manages to go to college while he's inside, he'll almost definitely never see a prison cell again. Last year, one state, California, spent more money on its penal system than it did on higher education.


Ces preuves extra-techniques non seulement ont une efficacité persuasive sur le téléspectateur, mais participent aussi à la construction éthique de l’orateur puisqu’il en ressort l’image de quelqu’un de cultivé et de renseigné sur la question qu’il traite. Pour introduire la conclusion de ce rapport officiel, Augustus Hill cite Booker T. Washington : « I have great faith in the power and influence of fact. It is seldom that anything is permanently gained by holding facts back ». Cette citation participe aussi de ce double mouvement.
Dans une optique similaire à celle de la citation, qui fait appel à un argument d’autorité, nous pouvons citer l’emploi des maximes, expressions populaires et slogans. Le sixième épisode de la deuxième saison s’ouvre sur un proverbe, « You made your bed, now lie in it » et se clôt sur une expression populaire, « sleep tight, don’t let the bedbugs bite ». Le proverbe est l’origine d’un développement dont la conclusion est que chacun est responsable de ses actes, ce qui est, par exemple, en contradiction avec certaines thèses de Kareem Said qui défend un déterminisme social. Or, l’adhésion portée au proverbe va être transférée à la conclusion, que le narrateur présente comme une traduction du proverbe. Quant à l’expression populaire qui clôt ce même épisode, elle a pour fonction, dans son utilisation habituelle, de signifier la fin de la discussion et ici, elle signale la fin de l’épisode. Elle a une fonction phatique dont la visée pragmatique est inverse, en indiquant la fin de l’utilisation du canal de communication. Cette intervention du narrateur double donc la fonction phatique assumée par le générique de fin.
Le cinquième épisode de la troisième saison s’ouvre sur le slogan de la poste américaine, inspiré d’Hérodote : « Neither snow nor rain nor heat nor gloom of night stays these courriers from the swift completion of their appointed rounds. » Au-delà de l’argument d’autorité, ces maximes jouent un autre rôle. Perelman nous dit que « le proverbe exprime un événement particulier et suggère une norme ». Dans notre contexte, il met l’accent sur l’idée d’arrivée, de fin de parcours, d’aboutissement. Elle est mise ici en concurrence avec celle d’attente, considérée comme plus caractéristique par le narrateur de l’atmosphère d’Oz.
Le narrateur utilise aussi des lieux rhétoriques. Un lieu, en rhétorique, est un schème argumentatif spécifique, dans lequel on arrange ses arguments. Au début de chaque saison, il utilise le lieu de la définition. Il explique ce qu’est Oz. Il commence toujours par donner le nom complet de l’établissement : « the Oswald Maximum Security Penitentiary » pour les deux premières saisons et « the Oswald State Correctional Facility, level four » à partir de la troisième. Il précise à chaque fois qu’Oz est « the name on the street », c’est-à-dire qu’il fait référence à un idiolecte particulier à une classe sociale. Or, l’emploi d’un vocabulaire spécifique place l’argumentation dans un certain cadre, ici une opposition sociale.
Pour la première saison, nous avons une vraie définition : « Oz is retro. Oz is retribution », marquée par une anaphore et une ressemblance phonique. Cette définition montre bien la perception qu’ont les prisonniers d’Emerald City : elle est qualifiée de « retro », alors que Tim Mac Manus la veut d’avant-garde, et de châtiment, alors que Tim Mac Manus met en avant les avantages et les récompenses qu’il y met en place. Dès le début, la distance qui sépare les conceptions qu’ont les différents personnages de cette prison est présente.
Dans les deux saisons suivantes, la définition constituée par la mention du nom complet de l’établissement est suivie d’une narration : celle de l’émeute pour la deuxième saison, celle des événements majeurs de la deuxième saison en ce qui concerne l’intermède narratif ouvrant le premier épisode de la troisième saison. Ce dernier intermède est intéressant puisqu’il dit que, malgré le changement de nom, rien n’a changé. Il amorce ici une réflexion sur le pouvoir des mots, défendant la thèse que le langage n’a pas d’influence sur la réalité, tandis que, dans le troisième épisode de la deuxième saison, le narrateur nous dit : « [the names of the doctors Epstein Barr, Norman-Barre, Down and Alzheimer] make us sick. », défendant la thèse d’un langage ayant un pouvoir sur la réalité. Cette contradiction apparente tendrait à prouver que le narrateur est moins un personnage cohérent qu’une fonction, qu’une coquille habitée par Augustus Hill pour guider le téléspectateur dans les méandres de la série.
Dans le premier épisode de la quatrième saison, nous avons, après l’explication du nom, une allusion au bouclage décidé par l’administration. Dans le neuvième épisode de cette même saison, toujours après l’explication du nom, Augustus Hill nous fait une description du lieu : « Now in Oz, our entire day is structured. We know when we'll eat, sleep, work, when we'll have free time. Now, giving a man who's locked up free time is a joke, 'cause there are still all kinds of restrictions as to what you can and can not do. Some people try to better themselves by reading, or exercise. Some pray. Some plot. Some just watch tv ». Dans tous les cas, le lieu de la définition permet ici d’obtenir un accord sur le sujet dont il est question, préalable à tout développement argumentatif.

Enfin, Augustus Hill utilise des procédés de liaison, c’est-à-dire des « schèmes qui rapprochent des éléments distincts et permettent d’établir entre ces derniers une solidarité visant soit à les structurer, soit à les valoriser positivement ou négativement l’un par l’autre. » Ainsi, dans le sixième épisode de la première saison, il associe deux termes opposés dans la tradition chrétienne, le corps et l’esprit : « The mind is just like the body ». A partir de cette liaison, il établit ensuite une différence entre les deux en disant que quand l’esprit survit, c’est un miracle, pour introduire les relations entre Vern Shillinger et Tobias Beecher, deux ennemis jurés. Dans le même épisode, il utilise un procédé de liaison lorsqu’il raconte l’histoire de son accident. Il nous dit qu’avant son accident, il était dépendant au crack, puis qu’après son arrestation et son accident, il a reçu un traitement antalgique important qui l’a aidé à décrocher. Maintenant, il pense à chaque instant à rester en dehors de cet univers et c’est devenu sa nouvelle dépendance : « Every single day, every single hour, every single minute, staying straight has become [...] my new addiction. » Nous aboutissons donc à un paradoxe, mais amené de façon tout à fait naturelle et quasiment rationnelle. Ce paradoxe peut être compris comme la clé d’un certain nombre de comportements qui nous semblent étranges : à Oz, la perception est différente.

Nous avons dit en introduction que l’intertextualité pouvait relever de l’argumentation extradiégétique. Nous allons voir maintenant un exemple qui lie le narrateur et l’intertextualité dans le but d’influencer le téléspectateur. Le septième épisode de la deuxième saison a pour titre Animal Farm, titre d’un livre de George Orwell. Dans cet épisode, il est question de mettre en place un fichier recensant toutes les personnes condamnées pour des délits sexuels et mis à la disposition du grand public. Cette information parvient à Oz par la télévision et, devant ce reportage, Coushaine, détenu-professeur, s’écrie : « It’s Orwellian ! ». L’interprétation du titre se trouve confirmée, mais il est à noter que, devant ce projet de fichier, on penserait plutôt à 1984. Le jeu est double : on fait une citation d'Orwell et on construit une thématique à travers les interventions du narrateur, puisque les intermèdes narratifs d’Augustus Hill ont pour thème les animaux.
Dans Oz, nous pouvons noter que presque toutes les interventions du narrateur sont conçues dans un tel système, qui rappelle le montage des attractions d’Eisenstein. Ce procédé consiste à monter des images hétéroclites en mettant au jour des conflits. C’est ce système que nous trouvons à la fin de La Grève avec les plans de massacre de la foule en montage alterné avec ceux d’un abattoir. Nous relevons dans Oz l’opposition entre l’espace pénitentiaire et l’espace du cube et ensuite entre la violence de la prison et le calme des images de documentaires animaliers qui servent de fond aux interventions du narrateur. Cela permet de dire qu’il y a une figure, en ce sens qu’il y a manipulation du support sémiotique. On peut la rapprocher de l’antithèse ou, mieux encore, de l’oxymore, puisque le montage alterné rapproche les plans comme le groupe nominal oxymorique rapproche un nom et un adjectif contradictoires.
Ce modèle du montage des attractions entre en plus en interaction avec un autre phénomène : la reprise de la structure de la tragédie grecque. Augustus Hill, en effet, peut être rapproché du coryphée, qui ménage un repos dans l’action tout en la commentant. C’est bien ce que fait ici Augustus Hill. En interagissant, ces deux procédés se renforcent l’un l’autre : le montage des attractions, ajouté à la présence du cube, renforce le statut spécifique du narrateur et attire davantage l’attention du téléspectateur sur ses propos.
Le narrateur joue donc un rôle important dans l’argumentation extradiégétique d’Oz, en guidant le téléspectateur dans les méandres de la série et en lui indiquant comment la recevoir, la comprendre. Son statut, inspiré de la tragédie grecque, est rattaché au montage des attractions, ce qui permet d’augmenter la visée persuasive de ses propos en se rapprochant d’un conditionnement total du téléspectateur.


Nous avons donc analysé deux pôles importants de l’argumentation extradiégétique : le générique et le narrateur. Cependant, ce ne sont pas les seuls et d’autres éléments, comme le titre ou l’intertextualité, y participent. Tous ces éléments de l’argumentation extradiégétique concourent, en outre, à créer ce que nous appelons le « pacte de visionnage ». Analogue au pacte de lecture, il est constitué des indications données préalablement par le producteur du discours sur l’interprétation à avoir de la fiction. Dans cette conception, le narrateur constitue, par son statut explicite, la partie émergée de l’iceberg : le générique, le titre, les reprises intertextuelles, par exemple, pour peu que nous y prêtions attention et que nous tentions de les analyser, recèlent des intentions et des indications destinées à nous guider dans notre interprétation et notre réception de l’œuvre, constituant ainsi ce pacte de visionnage.