LE GENERIQUE
par Séverine (alias Ozgirl)

Dans l’argumentation de la série, le générique a aussi une place importante. C’est le premier contact qu’a le téléspectateur avec la fiction proprement dite.

En effet, la connaissance qu’il en a avant se limite aux bandes-annonces, dont le but est de donner une idée générale de la fiction afin de provoquer la décision de la regarder. Le générique, s’il a aussi une fonction de prise de décision (vais-je regarder ou non cette série ?), endosse deux autres rôles importants : un rôle phatique et un rôle éthique. La fonction phatique du langage, selon Jakobson, consiste à établir la communication. C’est, par exemple, le rôle assigné au « oui » au début d’Andromaque, d’Iphigénie ou d’Athalie de Racine. Lorsqu’elle analyse le rôle de la musique dans les mises en scène de la télé, Hélène Duccini, dans La Télévision et ses mises en scène, assigne clairement ce rôle au générique :

« La musique des génériques d’émission joue un rôle analogue [à celui des spots de publicité] : prévenir les téléspectateurs, peut-être éloignés du récepteur, que l’émission commence ; c’est un signal d’appel. »

Dans cette conception, la musique joue un rôle essentiel puisqu’il faut qu’elle soit clairement identifiable, même dans des conditions de réception peu favorables, malgré le « bruit », pour reprendre encore un terme de Jakobson. La musique d’Oz est composée essentiellement de percussions, sans accords phoniques, et elle est hachée. Elle est donc complètement différente de celle d’autres fictions télévisées feuilletonnantes, comme X Files, Friends ou Ally Mac Beal. Il est d’ailleurs intéressant de noter à ce sujet que ces trois génériques ont fait l’objet d’une sortie en disques, alors que pour Oz, c’est une compilation de morceaux ayant un rapport thématique avec la série qui est sortie récemment aux Etats-Unis. D’autre part, chaque épisode commence directement par le générique. Cette structure s’oppose à un autre schéma possible : celui du prégénérique. On trouve cela dans X Files, par exemple. Chaque épisode commence par l’exposé de la situation problématique qui va pousser Mulder et Scully à enquêter, puis nous avons le générique et enfin, l’épisode commence réellement avec une discussion entre Mulder et Scully qui va motiver le départ de leur enquête. Nous voyons bien ici la différence de stratégie : pour X Files, il s’agit de rendre le téléspectateur captif, il est obligé d’allumer son poste avant le début de l’épisode et de rester devant puisque aucun signal sonore n’indique que l’épisode commence, d’autant plus qu’il n’y a pas de bandes-annonces de la chaîne marquant la séparation entre publicité et programme, contrairement à ce qu’impose la législation française. Pour Oz, si le téléspectateur est lui aussi obligé d’allumer son récepteur de télévision avant le début de l’épisode, rien ne l’empêche de faire autre chose jusqu’au début effectif de l’épisode puisque le générique le préviendra. D’où vient cette différence ? On peut l’expliquer par une différence de support. X Files est diffusée sur un network et il faut absolument que le téléspectateur soit devant la télévision pendant les spots publicitaires, seul moyen de financement de la chaîne. Oz est diffusée sur HBO, qui est une chaîne câblée et qui tire donc une partie de ses ressources de l’abonnement : elle est moins dépendante de la publicité et, nous l’avons déjà dit, elle a construit sa réputation en partie sur la fait qu’elle ne passait pas de publicités pendant les programmes. Au contraire, un téléspectateur français à l’œil un peu exercé est capable de voir les moments des coupures publicitaires américaines dans X Files, même quand elles ne correspondent pas avec celles de la diffusion française. Nous voyons donc bien là la fonction essentiellement phatique, et donc perlocutoire, du générique. Cependant, une fonction éthique peut aussi lui être assignée. Le générique de Oz est composé de deux ensembles de plans différents : des plans tirés des épisodes, montés avec deux bandeaux en haut et en bas, comme dans les diffusion de films de cinéma en 16/9 et des plans filmés uniquement pour le générique montrant un homme se faisant tatouer Oz sur le bras. Ces dernières images n’ont pas de bandeaux. Les plans montrant une séance de tatouage peuvent être considérés comme une métaphore de l’influence d’Oz sur les gens. Les détenus sont marqués à vie par leur passage à Oz qui reste indélébile et les téléspectateurs entretiennent une double relation avec la fiction : curiosité et malaise, à l’image du tatouage, agréable par son aspect ornemental et source de douleurs. Le tatouage que nous voyons être fait est celui de Tom Fontana, créateur et scénariste d’Oz, ce qui nous pousse à nous interroger sur la relation qu’il entretient avec sa création. D’autre part, le tatouage est fortement représenté dans Oz : Tobias Beecher, le lendemain de son arrivée en prison, se fait tatouer de force par Vern Schillinger une croix gammée sur la fesse, Ryan O’Reilly, après être tombé amoureux du Dr Nathan, tente d’enlever, en le grattant, le tatouage qu’il avait sur l’avant bras et qui était le prénom de sa femme. En ce qui concerne l’autre ensemble de plans, leur présentation mérite commentaire : les bandeaux rappellent le format du cinéma, dont viennent Tom Fontana et Barry Levinson. Ils indiquent par là dès le début leur héritage du cinéma et placent Oz dans une lignée et un espace tout à fait particuliers par rapport aux autres séries. L’effet esthétisant est perceptible dès les premières secondes de l’épisode. Le générique assume aussi un rôle éthique au sens technique en ce qu’il nous offre une réduction de la série. Les différents plans qui le composent sont tirés des différents épisodes et changent de saison en saison, de telle sorte qu’il y a une sorte d’actualisation du générique en fonction du développement de la fiction. Ce phénomène montre bien qu’il s’agit pour le générique d’être une sorte de résumé de l’état d’esprit de la fiction, de l’image que le producteur souhaite que nous en gardions. Les différents plans qui le composent nous présentent ses différentes thématiques. Nous relevons ainsi par exemple un ensemble de quatre plans présents dans les génériques des trois premières saisons qui montrent de la drogue saisie puis une seringue plantée dans un bras. Or ce thème parcourt tous les épisodes. Des plans montrant des exécutions capitales sont aussi présents dans les trois génériques. D’ailleurs, on peut parfois, pour certains ensembles de plans, reconstituer un fil narratif. Ainsi, il est significatif de voir l’évolution du statut de la séquence 14 du générique de la première saison. Dans le générique de la deuxième saison (séquence 14) et de la troisième saison (séquence 13), cette séquence est suivie d’un contrechamp nous montrant la même situation en ombres. Dans le générique de la deuxième saison, trois séquences sont reliées narrativement : les séquences 43, 78 et 80, qui montrent les étapes des relations entre Miguel Alvarez et Riviera. Dans le générique de la troisième saison, les séquences 63 et 64 mettent en place un fil narratif à l’intérieur du générique, mais qui ne correspond absolument pas à un événement précis se passant dans la série, contrairement à l’exemple précédent: en effet, ces deux séquences sont tirées d’épisodes différents. Enfin, le générique nous montre les temps forts de la série, comme l’affaiblissement de la position de Kareem Said (séquence 61 du générique de la première saison ou séquence 39 du générique de la troisième saison) ou le tabassage de Dino Ortolani par les gardiens (séquence 67 du générique de la première saison). Cet assemblage de plans présents dans deux ou trois génériques et de plans ne servant qu’une fois a, de plus, un effet semblable aux figures discursives de répétitions qui jouent sur le même et l’autre, comme la paronomase, la figure dérivative ou encore le polyptote. Nous avons alors affaire à des procédés qui provoquent de la présence, selon la conception de Perelman.

« Parmi les figures ayant pour effet d’augmenter le sentiment de présence, les plus simples se rattachent à la répétition, qui est importante en argumentation, alors que, dans une démonstration et dans le raisonnement scientifique en général, elle n’apporte rien. La répétition peut agir directement ; elle peut aussi accentuer le morcellement d’un événement complexe, en épisodes détaillés, apte, nous le savons, à favoriser la présence. »

On peut considérer ainsi, par exemple, les diverses séquences nous présentant des exécutions capitales (23, 50, 53, 57 pour le générique de la première saison, 23, 53, 55, 56 pour celui de la deuxième saison et 51, 53, 54 pour celui de la troisième saison). En effet, comme nous le verrons, le thème de la peine de mort tient une place importante dans l’argumentation de la série. Le générique de la fiction télévisée feuilletonnante a donc deux grandes fonctions : une fonction phatique et une fonction éthique. La musique de ce générique joue, elle, sur les plans éthique et pathétique. Ces trois rôles sont d’ailleurs généralement présents dans toute introduction de texte à visée persuasive. La fiction télévisée a donc, en quelques sortes, deux mouvements introductifs : le générique et l’introduction de la diégèse elle-même, qui passe, dans le cas de Oz, par les intermèdes narratifs d’Augustus Hill.

TABLEAUX SYNOPTIQUES DES GENERIQUES