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AUGUSTUS HILL, PERSONNAGE ET NARRATEUR
par Séverine (alias Ozgirl)


Nous pouvons nous interroger sur la présence d’un narrateur dans le cadre d’une série télévisée. En effet, ce dispositif narratif est rarissime à la télévision, et relativement rare au cinéma.

Nous pouvons cependant expliquer sa présence par une attention portée par les créateurs à la visée argumentative que peut revêtir Oz. « (...) toute argumentation vise à l’adhésion des esprits et, par le fait même, suppose l’existence d’un contact intellectuel. »( Chaïm PERELMAN et Lucie OLBRECHTS-TYTECA, Traité de l’argumentation). Or, le narrateur peut assumer cette fonction de « contact intellectuel », ici explicite, tandis que les fictions de manière générale (romans, pièces de théâtre, films et téléfilms...) procèdent plutôt implicitement avec un personnage qui porte les valeurs et les idées de l’auteur. Le « cube » de verre dans lequel se trouve le narrateur peut aussi être interprété dans une visée argumentative. A ce sujet, Chaïm Perelman ajoute :

« Pour mieux pouvoir agir sur un auditoire, on peut le conditionner par des moyens divers : musique, éclairage, jeux de masses humaines, paysage, régie théâtrale. [...] A côté de ce conditionnement [...] existe un conditionnement par le discours lui-même, de sorte que l’auditoire n’est plus, en fin de discours, exactement le même qu’au début. »

En effet, ce procédé singulier de mise en scène attire notre attention sur le statut particulier de ce qui nous est ainsi communiqué. Or, il est à noter que le « cube » est inscrit dans le cahier des charges de la série : chaque réalisateur, puisqu’il y en a plusieurs, a l’obligation de l’utiliser, de quelque manière que ce soit. Les intermèdes narratifs d’Augustus Hill posent aussi un problème d’ordre chronologique. Si les commentaires qu’il fait sur les crimes commis par les prisonniers ne peuvent être interprétés que comme des analepses, que Gérard Genette définit comme « toute évocation après coup d’un événement antérieur au point de l’histoire où l’on se trouve » (Gérard GENETTE, Figures III), les autres commentaires sont beaucoup plus ardus à situer : il semble improbable qu’ils soient antérieurs aux faits (à moins de faire entrer en jeu la notion de prémonition ou d’oracle), mais ils peuvent être contemporains ou postérieurs. Nous sommes donc dans une situation d’achronie, « terme général [...] pour désigner toutes les formes de discordances entre les deux ordres temporels [le temps de la diégèse et celui de l’énonciation] ». Cette imprécision chronologique fait qu’il nous est difficile de cerner le but précis des interventions du narrateur : s’agit-il d’influencer notre jugement sur les actes des personnages, de dénoncer certains faits de société et certaines orientations sociales et politiques ou tout simplement de nous livrer des informations supplémentaires que nous n’aurions pas par un autre moyen ? Il semble que ce soit tout cela à la fois, et plus que cela, le téléspectateur doit interpréter au coup par coup les intentions qu’il décèle chez le narrateur. Quand il s’agit de flashes-backs explicatifs précisant les motifs et les conditions d’arrestation d’un prisonnier, ses intentions sont relativement claires, si l'on en croit François Jost dans Un monde à notre image : Enonciation, Cinéma, Télévision :

« (…) le rôle du flash-back est de faire partager au spectateur un certain environnement cognitif du personnage. Pas tout l’environnement cognitif du personnage, mais cette partie qui permet de rendre mutuelles les hypothèses narratives. C’est la raison pour laquelle le flash-back tend beaucoup plus à reconstruire un environnement cognitif pragmatique (au sens étymologique de "relatif à l'action") que l’environnement perceptif (…). »

Concernant les commentaires du narrateur, le problème reste entier. Cette question de la place chronologique des interventions est d’autant plus importante que non seulement la diégèse, mais aussi les commentaires se placent dans notre contemporanéité. On peut citer, par exemple, la date de la condamnation de Jackson Vahue, dans l’épisode I, 6, diffusé le 11 août 1997 aux Etats-Unis : 17 août 1997. La fiction anticipe même sur le présent, puisque la condamnation est censée se produire 6 jours après la diffusion. Dans ce même épisode, nous pouvons relever aussi la date de la condamnation d’Huseni Mershaw le 11 août 1997. Quant aux interventions du narrateur, même si les références temporelles sont beaucoup moins précises, elles se placent bien dans notre présent : Augustus Hill, au début de l’épisode II, 3, diffusé le 27 juillet 1998 aux Etats-Unis, parle de l’approche de l’an 2000 et des listes de personnes ayant marqué le millénaire que publient, à cette époque, les journaux. Cette exacte coïncidence entre le temps de la fiction et le temps du téléspectateur pose un problème sur le plan éthique, au sens technique : dans ce cas, notre narrateur ne jouit pas d’une position de recul sur les événements qu’il commente, comme c’est habituellement le cas de tout récit narré, puisque nous sommes dans ce cas face à un récit a posteriori. Ce n’est pas là le seul problème puisqu’il y a une collusion entre Augustus Hill, personnage prisonnier d’Emerald City, et Augustus Hill narrateur. Ainsi parle-t-il de sa dépendance, en tant que personnage, dans un intermède narratif de l’épisode I, 6. Cependant, il ne viendrait pas l'idée au téléspectateur de remettre en cause la parole du narrateur. Cela montre bien qu’il y a quand même une construction de l’ethos de la part du narrateur. Elle passe par une certaine sympathie que le téléspectateur ressent pour lui en tant que personnage, avec un transfert de l’ethos du personnage sur le narrateur, et une construction particulièrement soignée de son discours, qui vient contrebalancer le manque de recul que nous pourrions éventuellement reprocher au narrateur. Le personnage en effet est tout de suite sympathique au téléspectateur. D’une part, son handicap, loin de nous faire éprouver de la pitié puisqu’il ne semble rencontrer aucune difficulté à se déplacer dans Emerald City et qu’il n’essaie pas de se faire plaindre, fait que nous nous intéressons plus à lui. D’autre part, le fait qu’il ne participe à aucun des coups montés par les prisonniers pour tirer un avantage quelconque, à aucun des meurtres ni à aucune des agressions entre prisonniers nous donne une image positive de ce personnage qui ne cherche pas à écraser les autres à tout prix. Cette sympathie et cette bienveillance que nous portons au personnage se transfèrent alors sur le narrateur. D’un point de vue discursif, le narrateur se singularise par l’emploi de procédés rhétoriques peu utilisés par les personnages : les preuves extra-techniques, l’emploi de la parémie et des lieux et les procédés de liaison. L’emploi de preuves extra-techniques donne une crédibilité au discours, puisqu’elles sont objectives. Augustus Hill cite des statistiques et des conclusions de rapports officiels. Par exemple, il ouvre l’épisode I, 6 par une statistique :

« Six percents of the total prison population is 55 and older. That’s double ten years ago. » Dans l’épisode II, 3, il fait écho à un rapport officiel : « The U.S. Department of Justice reports that the typical prisoner in America is an undereducated, young male minority [...]. If that undereducated, young male minority receives his G.E.D. in prison, he is far less likely to come back. If that same kid manages to go to college while he's inside, he'll almost definitely never see a prison cell again. Last year, one state, California, spent more money on its penal system than it did on higher education. »

Ces preuves extra-techniques non seulement ont une efficacité persuasive sur le téléspectateur, mais participent aussi à la construction éthique de l’orateur puisqu’il en ressort l’image de quelqu’un de cultivé et de renseigné sur la question dont il parle. La citation qu’il fait de Booker T. Washington dans ce même épisode participe de ce double mouvement. Dans une optique similaire à celle de la citation, qui fait appel à un argument d’autorité, nous pouvons citer l’emploi des maximes, expressions populaires et slogans. L’épisode II, 6 s’ouvre sur un proverbe, « You made your bed, now lie in it » et se clôt sur une expression populaire, « sleep tight, don’t let the bedbugs bite ». Il s’agit d’une expression que l’on dit aux enfants avant de se coucher, qui correspondrait, dans notre culture, au monstre qui se cache sous les lits et qui mange les enfants qui ne veulent pas dormir. L’épisode III, 5 s’ouvre sur le slogan de la poste américaine, inspiré d’Hérodote: « Neither snow nor rain nor heat nor gloom of night stays these courriers from the swift completion of their appointed rounds. » Au-delà de l’argument d’autorité, ces maximes jouent un autre rôle. Perelman nous dit que « le proverbe exprime un événement particulier et suggère une norme. » De plus, il y a généralement un accord sur l’adhésion des auditeurs à un proverbe. Le proverbe que cite Augustus Hill est l’origine d’un développement dont la conclusion est que chacun est responsable de ses actes, ce qui est, par exemple, en contradiction avec certaines thèses de Kareem Said qui défend un déterminisme social. Or, l’adhésion portée au proverbe va être transférée à la conclusion, que le narrateur présente comme une traduction du proverbe. Quant à l’expression populaire qui clôt ce même épisode, elle a pour fonction, dans son utilisation habituelle, de signifier la fin de la discussion et ici, elle signale la fin de l’épisode. Elle a une sorte de fonction phatique à rebours, indiquant la fin de l’utilisation du canal de communication. Quant au slogan, « [son] rôle est essentiellement celui d’imposer, par [sa] forme, certaines idées à notre attention. » Dans notre contexte, il met l’accent sur l’idée d’arrivée, de fin de parcours, d’aboutissement. Elle est mise ici en concurrence avec celle d’attente, considérée comme plus caractéristique par le narrateur de l’atmosphère d’Oz. Il utilise ici un lieu de l’ordre, qui affirme « la supériorité de l’antérieur sur le postérieur. » Le narrateur utilise aussi un autre lieu, de manière récurrente au début de chaque saison : celui de la définition. Il explique ce qu’est Oz. Il commence toujours par donner le nom complet de l’établissement : « the Oswald Maximum Security Penitentiary » pour les deux premières saisons et « the Oswald State Correctional Facility, level four » pour la troisième. Il précise à chaque fois que Oz est « the name on the street », c’est-à-dire qu’il fait référence à un idiolecte particulier à une classe sociale.

« On connaît le rôle que jouent les vocabulaires dans la différenciation des milieux. [...] L’usage des termes archaïques, des patois, a une signification le plus souvent particularisante, tantôt dans les sens d’une opposition de classes, tantôt dans celui d’une opposition d’une autre nature. »

Augustus Hill se place donc dans un certain cadre, censé être celui des téléspectateurs auxquels il s’adresse. Pour la première saison, nous avons une vraie définition : « Oz is retro. Oz is retribution », marquée par une anaphore et une ressemblance phonique. Cette définition montre bien la perception qu’ont les prisonniers de Emerald City : elle est qualifiée de « retro », alors que Tim Mac Manus la veut d’avant-garde, et de châtiment, alors que Tim Mac Manus met en avant les avantages et les récompenses qu’il y met en place. Dès le début, la distance qui séparent les conceptions qu’ont les différents personnages de cette prison est présente. Dans les deux saisons suivantes, la définition constituée par la mention du nom complet de l’établissement est suivie d’une narration : celle de l’émeute pour la deuxième saison, celle des événements majeurs de la deuxième saison en ce qui concerne l’intermède narratif ouvrant le premier épisode de la troisième saison. Ce dernier intermède est intéressant puisqu’il dit que, malgré le changement de nom, rien n’a changé. Il amorce ici une réflexion sur le pouvoir des mots, défendant la thèse que le langage n’a pas d’influence sur la réalité, tandis que dans l’épisode II, 3 le narrateur nous dit : « [the names of the doctors Epstein Barr, Norman-Barre, Down and Alzheimer] make us sick. », défendant une thèse d’un langage ayant un pouvoir sur la réalité. Dans tous les cas, le lieu de la définition permet ici d’obtenir un accord sur le sujet dont il est question, préalable à tout développement argumentatif. Enfin, Augustus Hill utilise des procédés de liaison, c’est-à-dire des « schèmes qui rapprochent des éléments distincts et permettent d’établir entre ces derniers une solidarité visant soit à les structurer, soit à les valoriser positivement ou négativement l’un par l’autre. » Ainsi, dans l’épisode I, 6, il associe deux termes opposés dans la tradition chrétienne, le corps et l’esprit : « The mind is just like the body ». A partir de cette liaison, il établit ensuite une différence entre les deux en disant que quand l’esprit survit, c’est un miracle, pour introduire les relations entre Vern Shillinger et Tobias Beecher. Dans le même épisode, il utilise un procédé de liaison lorsqu’il raconte l’histoire de son accident. Il nous dit qu’avant son accident, il était dépendant au crack, puis qu’après son arrestation et son accident, il a reçu un traitement antalgique important qui l’a aidé à décrocher. Maintenant, il pense à chaque instant à rester en dehors de cet univers et c’est devenu sa nouvelle dépendance : « Every single day, every single hour, every single minute, staying straight has become [...] my new addiction. » Nous aboutissons donc à un paradoxe, mais amené de façon tout à fait naturelle et quasiment rationnelle. Ce paradoxe peut être compris comme la clé d’un certain nombre de comportements qui nous semblent bizarres : à Oz, la perception est différente. Le narrateur joue donc un rôle tout particulier dans le système argumentatif de la série, matérialisant en quelque sorte le contact intellectuel nécessaire entre le producteur du discours et le téléspectateur.