La configuration
quasi circulaire, avec la plate-forme centrale sur laquelle se tiennent
les surveillants et les murs de verre, rappelle le panopticon de Bentham
dont parle le philosophe. Le but de cette construction était de voir
tous les détenus à partir d’un seul endroit. Or, que nous dit le narrateur
dès le premier épisode ?
« In Oz,
the guards lock the cages and walk away and the predators rise, take
control, and make the rules. In Em City, the guards are with us twenty
four hours a day. There’s no privacy. Everybody sees what everybody’s
doing. Eyes everywhere. Mac Manus’ eyes. »
D’autre
part, il ne faut pas oublier que ce projet de prison idéale est le rêve
d’un homme qui veut changer le cours des choses et, comme le rappelle
Michel Foucault,
« parmi
toutes les raisons du prestige qui fut accordé, dans la seconde moitié
du XVIIIème siècle, aux architectures circulaires, il faut sans doute
compter celle-ci : elles exprimaient une certaine utopie politique.
»
L’utopie
se manifeste également dans l’autogestion de Emerald City : ce sont
les prisonniers qui font la cuisine, le ménage, les cours... Cette organisation
nécessite une discipline, stigmatisée dans l’épisode I, 1 par l’emploi
du mot « routine », qui est à la base de tout système coercitif :
« La discipline
fabrique ainsi des corps soumis et exercés, des corps "dociles". La
discipline majore les forces du corps (en termes économiques d’utilité)
et diminue ces mêmes forces (en termes politiques d’obéissance). D’un
mot, elle dissocie le pouvoir du corps ; elle en fait d’une part une
"aptitude", une "capacité" qu’elle cherche à augmenter ; et elle inverse
d’autre part l’énergie, la puissance qui pourrait en résulter, et elle
en fait un rapport de sujétion stricte. Si l’exploitation économique
sépare la force et le produit du travail, disons que la coercition disciplinaire
établit dans le corps le lien contraignant entre une aptitude majorée
et une domination accrue. »
Cette majoration
de l’aptitude se voit bien dans le traitement du rôle d’Augustus Hill
qui, bien que handicapé, n’a aucun traitement de faveur par rapport
aux autres détenus : il travaille de la même façon qu’eux à l’usine
de confection (épisode I, 1). C’est au regard de ce système coercitif
qu’on peut interpréter les parois de verre :
« L’exercice
de la discipline suppose un dispositif qui contraigne par le jeu du
regard ; un appareil où les techniques qui permettent de voir induisent
des effets de pouvoir, et où, en retour, les moyens de coercition rendent
clairement visibles ceux sur qui ils s’appliquent. »
Qu’on rapproche
cette citation de Michel Foucault et celle d’Augustus Hill supra, et
l’on voit l’importance que revêt le regard dans ce système, rappelant
le célèbre « Big Brother is watching you. » Par rapport à toutes ces
analyses, le téléspectateur est amené à se demander quelles sont les
réelles motivations de Tim Mac Manus. En effet, ce dernier assure qu’il
veut changer le cours des choses et amener les détenus à pouvoir vivre
correctement dehors et à sortir de la spirale qui fait que, dans une
très grande majorité, les gens reviennent en prison. Il avoue à Kareem
Said avoir été traumatisé dans sa jeunesse par les émeutes d’Attica,
en 1971. Après celles-ci, « le débat pénal aux Etats-Unis tournait autour
de la « décarcération » et des peines de substitution » (Loïc Wacquant).Or,
le système qu’il met en place empêche les détenus d'avoir une vie privée
et ne les responsabilise pas vraiment. Le téléspectateur qui a mené
cette réflexion prévoit l’émeute qui a lieu à la fin de la première
saison et, après celle-ci, continue à réfléchir sur la politique pénitentiaire
et les moyens de remédier réellement à la récidive.