Il s’institue
alors un jeu spéculaire et spéculatif : jusqu’où ira l’imitation ? Ainsi,
la structure même de la série, avec un narrateur utilisant la voix "off"
et des flashes-backs, est reprise du film noir. Michel Ciment nous indique
que « le retour en arrière et le narrateur « off », si caractéristiques
du film noir à partir d’Assurance sur la mort (1944), se présentent
comme un défi lancé au récit linéaire. » Cet effet de style prend place
dans un cadre plus large du point de vue de la réalisation, mimétique
de celle du film noir. Quand Michel Ciment nous dit que
« tout style, selon l’expression de Sartre, renvoie à
une métaphysique [et que] les réalisateurs de films noirs privilégient
ainsi le déséquilibre de la composition, la distorsion, les angles inhabituels,
les plongées qui écrasent les personnages, les cadrages claustrophobiques
»,
nous n’avons pas besoin de changer beaucoup de choses pour en faire
une affirmation applicable à Oz. Une autre caractéristique de Oz est
son style dépouillé qui a fait croire à l’origine, à certaines personnes
prenant le premier épisode en cours, qu’il s’agissait d’un documentaire.
Cet épisode avait pour particularité de faire apparaître en bas à gauche
de l’écran l’heure à laquelle se passait les événements, ce qui a disparu
dès le deuxième épisode. Or, ce style journalistique est aussi une caractéristique
du film noir.
« En refusant le romantisme qui imprégnait Underworld
de Sternberg, LeRoy [dans Little Caesar] a su dégager une sécheresse,
quasiment journalistique, qui allait marquer le "gangster movie". »
D’autre part, l’influence de Little Caesar peut-elle aussi se sentir
dans un domaine thématique. Oz nous montre des détenus qui, comme Tobias
Beecher, ne sont pas foncièrement mauvais, mais ont dévié du droit chemin
du fait de circonstances extérieures, sociales. Or, voici l’analyse
que fait François Guérif du message du film :
« Le gangster n’est pas un accident divin ; c’est le
produit d’un certain type de société. Ses motivations sont semblables
à celles des autres citoyens : désir de s’élever dans l’échelle sociale,
soif de puissance. C’est un instable et un paranoïaque. Sexuellement,
il présente des tendances homosexuelles. »
Un autre film semble avoir inspiré les auteurs de Oz : il s’agit de
White Heat de Raoul Walsh. Dans ce film se trouve une scène particulièrement
frappante qui se passe dans le réfectoire de la prison. Or ce lieu a
une importance toute particulière dans Oz. C’est là que se passent les
grands événements : lectures de ses poèmes par le Poet, discours du
directeur, démonstration du pouvoir de Kareem Said, de la déchéance
de Tobias Beecher quand Vern Shillinger l’oblige à chanter travesti
lors de la fête... Raoul Walsh dit de la scène du réfectoire : « [...
Cagney] m’a étonné par l’intensité qu’il a mise dans la scène du réfectoire.
C’était probablement l’un des plus grands moments d’interprétation de
tous les temps... » Une référence à ce film peut aussi se sentir dans
l'emploi que font les prisonniers des miroirs pour communiquer d'une
cellule à l'autre : les personnages de White Heat en effet l'utilisent
de telle sorte qu'un prisonnier parle tandis qu'un autre, dans une autre
cellule, le regarde à l'aide du miroir et lit sur ses lèvres. Dans Oz,
ils s'en servent pour se voir quand ils se parlent. La référence au
film noir est présente dans le dialogue lui-même : Jefferson Keane,
dans l’épisode I,4, alors qu’il est dans le couloir de la mort, parle
avec un des détenus d’un film de prison, héritier du film noir, dans
lequel l’héroïne est dans le couloir de la mort et attend le coup de
téléphone du gouverneur permettant de la gracier. Et le titre de l’épisode
II, 8, Escape from Oz, est une reprise du titre du film Escape from
Alcatraz. La référence au film noir est même parfois plus moderne, puisque
le narrateur parle de Seven dans l’épisode I, 3. Mais la référence textuelle
s’effectue aussi par un autre mode: celui du langage érotique à double
signification. Quand François Guérif se penche sur le cas du personnage
de Marlowe et du Grand Sommeil de Howard Hawks, voici ce qu’il écrit
:
« Quant à l’érotisme, il vient des situations et du langage
à double sens. Ces affrontements verbaux, pleins de sous-entendus, sont
aussi une caractéristique du film noir. »
C’est quelque chose de semblable que nous avons au sujet de la drogue,
désignée par l’expression « titts » ou « titties » qui signifie « nichons
». Il en résulte toute une série d’échanges codés au sujet de seins,
de soutien-gorge profonds ou trop petits, etc. Nous pouvons aussi prendre
comme exemple le surnom qu’a donné Busmalis au tunnel qu’il creuse pour
s’évader : Lizzie. Ce mot d’argot américain signifie « gouine ». Et
Busmalis développe toute une thématique sexuelle à son sujet : il est
comme une femme pour lui qui n’en a jamais aimé aucune, il parle de
viol quand les Aryens veulent le lui prendre dans l’épisode I, 8 («
It would be like they were rapping her »). D’autre part, l’analogie
entre le tunnel et un vagin, si elle n’est pas fine, n’en est pas moins
transparente. A partir de cette similitude entre les deux genres, qui
passe, nous l'avons vu, par différents jeux de reprises, le téléspectateur
spécule sur les éventuelles références qui pourraient se poursuivre.
Parfois, il est déçu dans ses attentes. Ainsi, la seule femme qui pourrait
faire faillir Kareem Said n’est pas conforme à l’horizon d’attente du
téléspectateur, à l’univers du film noir : loin d’être une femme fatale
castratrice, elle est plus proche de l’archétype de la femme de mélodrame
: douce, gentille, intelligente et partagée entre son amour et sa vie
dehors. Mais il n’est pas déçu lors de la troisième saison, traversée
par l’organisation d’un tournoi de boxe à Emerald City. En effet, la
fin des années 40 a été marquée par le tournage de nombreux films noirs
ayant trait à l’univers agonistique :
« Au début du siècle, [George Bellows] annonce par son
réalisme les films criminels où le ring joue un rôle majeur : Les Tueurs
[...], Nous avons gagné ce soir [...] et Le Champion [...]. La foule
sadique, les paris truqués, l’ascension et la chute du boxeur caractérisent
ces films, réalisés entre 1946 et 1949. »
Plusieurs plans d’épisodes de la troisième saison nous montrent en effet
les déchaînements de la foule, souvent en ocularisation interne secondaire,
afin de mieux en montrer encore la violence. Les paris foisonnent, bien
qu’interdits, et Cyril O’Reilly suit bien une trajectoire ascendante,
grâce à son frère qui drogue ses adversaires, puis une chute fulgurante
après qu’un des gardiens, sur une dénonciation, a découvert la supercherie.